Article écrit le : 20 avril 2020
Catégorie : Conseil

Chez Maven, le Vendre Plus a longtemps occupé nos accompagnements chez nos clients, puis le Vendre Mieux s’est installé dans nos pratiques, incitant nos clients à considérer que le Mieux n’est pas l’ennemi du Plus.

Depuis quelques années nous introduisons le Vendre Autrement dans nos approches, tendance naturelle et anticipatrice des mutations des comportements clients, de l’économie du partage, de la recyclabilité, de l’émergence de l’économie de l’usage ou encore de la fonctionnalité. Nous l’observions et le partagions depuis longtemps chez nos clients et dans nos tribunes.

Excitant à promouvoir, ce Vendre Autrement s’est tout de même trouvé régulièrement confronté à des freins chez nos prospects et clients (dirigeants et/ou collaborateurs), aux changements de paradigme nécessaires à ces mutations (marché, clients, fournisseurs …) ou encore aux impacts sociaux engendrés par ces nouvelles orientations (compétences, nouveaux profils, IA …).

Je vous écris cela car la tendance du moment, en cette période économique atone et unique, serait la croyance que plus rien ne sera comme avant. Ce serait de croire en une opportunité de repenser tous les modèles économiques, de redonner du sens à nos actions d’entrepreneurs, de penser local et circuit court, de mettre l’individu et le collectif au-dessus de toute autre chose, et j’en passe. Subitement une morale entrepreneuriale et collective devrait naître des cendres covidiennes.

A titre personnel, j’ai envie d’y croire et mon parcours personnel tendrait à démontrer qui j’ai toujours milité pour cela. Mais j’ai peur qu’il en soit autrement et que cet épisode sanitaire fasse émerger 3 types d’entreprises :

– Tout d’abord celles qui sont solides et qui vont s’en sortir sans dommage et avec quelques pertes. Celles-ci ont des caractéristiques communes comme la gestion en « bon père de famille », une culture de l’anticipation, une capacité à intégrer les mutations plus vite que les autres, un climat social constructif, volontariste et apaisé et une solidité financière qui les rendent souveraines pour plusieurs mois et curieusement très attractives en ce moment pour le système bancaire.

– celle qui vont s’en sortir mais difficilement et à un prix qu’elles n’auront peut-être pas les moyens de payer. Elles se caractérisent par une fragilité financière que la situation aggrave inexorablement, par un manque d’anticipation des mutations que les bonnes années passées auraient pu financer, par des savoir-faire insuffisamment différenciateurs que les périodes de tensions économiques mettent en exergue comme une évidence que le dirigeant n’avait jamais voulu voir, par une capacité à avoir vu dans l’innovation un risque plutôt qu’une opportunité. Elles sont ce que j’appelle « les entreprises qui se donnent les moyens de se payer mais pas d’anticiper »

– Et enfin celles qui, malheureusement, ne passeront pas le cap et fermeront, avec toute la dramaturgie qui l’accompagne.

Cela m’amène à penser que les belles pensées philosophiques des collapsologues de tous bords sur les changements de modèles et de moralité risquent sincèrement de se fracasser sur l’autel de l’immédiateté et du besoin vital de s’en sortir. D’ailleurs le comportement et l’ingérence de l’état dans ses déclarations et ses actes s’en rend involontairement complice ; il faut sauver à tout prix la maison qui brûle.

Car la première catégorie d’entreprises continuera à avoir toujours le coup d’avance, à sentir les mutations avant les autres, à respecter mieux encore les bons ratios de gestion et je m’en réjouis pour elles et pour nous. Les fondations sont solides, la maison est debout, on peut continuer à y habiter, on achètera juste la piscine l’an prochain. C’est peut-être même l’Etat qui la paiera.

Car la seconde catégorie d’entreprises, celles qui vont difficilement survivre, vont mettre l’essentiel de leur énergie à panser les plaies, à remonter la pente économiquement, à rembourser ce qu’elles doivent, à faire le deuil de la casse sociale subie ou choisie, et il y a fort à parier qu’elles ne sauront le faire qu’au périmètre de ce qu’elles connaissent le mieux. Donc elles reporteront à plus tard les grandes réflexions sur les changements de modèle, aussi vertueux puissent-ils être. Les fondations sont solides, mais les murs sont transpercés, une partie de la toiture a brûlé. On peut continuer d’y vivre mais ce ne sera pas très confortable dans les prochains temps.

C’est peut-être sur la troisième catégorie que les espoirs peuvent être portés. Il y a fort à parier que le dirigeant saura analyser la situation et les erreurs commises, et qu’il saura évaluer les opportunités que pourrait donner un nouveau monde pour lequel il vaut mieux être le premier, a fortiori s’il part d’une feuille blanche. On ne reconstruit pas une nouvelle maison en utilisant les matériaux de la précédente qui a volé en éclats.

Quand on est chef d’entreprise, on a deux périodes pour penser sereinement les mutations et les transformations de modèles : soit quand tout va bien et qu’on a les moyens, soit quand on n’a plus rien car le précédent modèle n’a pas résisté à l’épreuve de la crise.

On ne pense pas le changement quand tout tremble mais quand la maison est solide ou quand elle s’est écroulée.

Christophe PRAUD